Il existe, devant de nombreux orphelinats en Inde, de grands berceaux destinés à accueillir les nourrissons abandonnés. Une façon simple et rapide pour les mères de se débarrasser de l’enfant non-désiré ; d’un geste semblable à celui de poster une lettre à la poste. Rares sont celles qui s’attardent, préférant ne pas être vues là, cachant leurs visages honteux et leurs yeux larmoyants sous leurs voiles colorés. Ainsi, jamais on ne put savoir qui était la génitrice de Shankara, qui l’avait laissé dans un de ces berceaux. Un nouveau-né d’à peine quelques heures qu’elle n’avait pas même une fois nourri. Encore couvert de liquide amniotique et tout nu, avec pour seul présent un clou serré dans sa paume ridée.
Ce délaissement fit beaucoup parler au sein de l’orphelinat. Une peau légèrement plus pâle que ses congénères et un regard aux teintes claires – et c’était un garçon. Les abandons de filles étaient monnaie courante, car ces dernières, avec la dot que les parents devaient fournir à leur mariage, étaient des poids. Mais les garçons étaient, pour la plupart des couples, de la main d’œuvre forte et vigoureuse et la possibilité d’acquérir une bru avec un apport plaisant. L’abandonné n’avait pas l’air de souffrir de la moindre maladie et semblait réactif au monde l’entourant. A force de discussions et de tergiversations, on décréta que l’enfant se nommerait Shankara (un autre des prénoms du dieu Vishnu, dont les nourrices espéraient qu’il donnerait sa protection à l’enfant) avec pour second prénom Ganesha, car l’enfant était arrivé le jour du Ganesh Chaturthi. Il fut aussi pensé que la raison la plus plausible du pourquoi de l’apparence et de l’abandon du nourrisson était qu’il était issu du viol d’une indienne par un étranger, qui par dégoût et humiliation n’aurait pas pu garder l’enfant. Et toutes plaignirent cette femme imaginée, en regardant le fardeau que derrière elle la pauvrette avait laissé.
Cette supposition, au fil des années, devint une réalité. A chaque fois qu’un couple, qui venait adopter s’étonnait sur les yeux anis le visage exotique de l’orphelin, on expliquait qu’il était le résultat du mauvais comportement d’un passant envers une femme indienne et tous alors le plaignaient, mais faisaient en sorte de ne pas l’adopter. Un résultat navrant venant du fonctionnement de la société hindoue, où les castes encore aujourd’hui existent. Fils présumé d’un étranger, qui de plus avait commis un acte de déshonneur, Shankara se retrouvait en marge de la hiérarchie de ce pays et était considéré, au mieux, comme un sudra – la caste la plus basse ; celle des serviteurs. Des esclaves, des oubliés de tous. De ce fait, de longues années Shankara resta sans parents, bercé par le fait qu’il était d’un sang si impur que le mot dégueulasse était encore trop doux et qu’on ne pouvait donc pas le toucher et encore moins l’adopter.
Rapidement l’enfant se prit en charge seul, ses responsables ne souhaitant pas entrer en contact avec lui parce que leur religion et leur appartenance à une caste plus élevée que la sienne leur interdisait cela. Cela ne les empêchait pas de le plaindre et de, en parallèle, le flatter sur sa peau claire et ses mirettes vertes. Toutefois, ses nombreuses sœurs et ses quelques frères, pour la plupart encore trop jeunes pour comprendre le sens des castes, n’hésitaient pas à venir se nicher près de Shankara qui, débrouillard, savait toujours comment créer de nouveaux jeux. Et quels jeux ! Le jeunot, dès son plus jeune âge, avait conscience de son don. S’en servir était pour lui aussi naturel qu’un oiseau sait faire son nid et cela faisait beaucoup rire les plus jeunes quand il électrisait la dépouille d’un poisson et que celui-ci se mettait à s’agiter. Toutefois, parce qu’il craignait ses nourrices et ce qu’elles pouvaient encore lui faire comme reproches, jamais Shankara ne se servit de sa spécialité devant elles. C’est qu’elles n’étaient pas tendres. Etant devenu un des plus vieux de l’orphelinat, la plupart des enfants s’en allant avant leurs quatre ans, le métis était tenu d’apporter de l’aide au sein de la bâtisse. De ce fait, toujours avait-il attaché dans le dos un nourrisson et autour de lui se déplaçaient un ou deux autres enfants, tandis qu’il était occupé à recoudre quelques vêtements abîmés.
Puis, alors qu’il avait huit ans, vint sa chance. Un couple, dont les deux membres étaient des descendants de colons anglo-saxons, vinrent pour une adoption. L’homme ne pouvait pas avoir d’enfant et la femme aimait beaucoup ces derniers, aussi en étaient-ils venus à cette situation. S’ils avaient tout d’abord eut en tête d’adopter une petite indienne de moins d’un an, dès qu’ils entrevirent le regard hypnotisant de Shankara, qu’il cachait à présent derrière d’épaisses mèches noires, leur avis changea. Eux n’en avaient que faire des obligations des castes et furent touchés par l’histoire de sa naissance. Quelques questions, quelques réponses – le couple demanda si l’orphelin nécessitait des soins particuliers et quels traits de caractère il possédait. On répondit que c’était un garçon costaud, dévoué et obéissant bien qu’il aimait avoir ses secrets et qu’il lui arrivait de disparaître sans prévenir. La seule mauvaise manie qu’on pouvait vraiment reprocher à Shankara était de toujours avoir un clou dans sa bouche – ce qu’il restait de sa mère et ce qu’il conservait précieusement malgré le danger que cela représentait.
Tout cela n’était que des défauts mineurs et faisant fi des périodes normalement indiquées pour que les parents et l’enfant apprennent à se connaître, l’affaire fut bouclée sur le moment. Juste, quelques signatures et quelques billets circulèrent. Shankara, qui avait été de loin spectateur de cette scène, crut qu’on venait de le vendre au possesseur d’une mine. C’est ce que ses nourrices lui disaient souvent, quand elles ne le trouvaient pas assez sage. Et l’image que ces dernières lui donnèrent des européens était si déplorable que le mignon n’eut aucune confiance, les premiers temps, en ses parents adoptifs.
Durward et son épouse Hazel crurent que les larmes que Shankara versa tout le long du trajet étaient dues à sa tristesse de quitter l’orphelinat et ses camarades, alors que lui s’épanchait parce que se croyait en route vers les mines. Il ne se rendait pas encore compte de sa chance – à croire que Vishnu avait finalement entendu les prières de celles qui l’avaient recueilli. Ses sanglots se transformèrent en hoquets de surprise quand, au détour d’un bosquet de palmiers, à son regard s’offrit la vue d’une immense bâtisse toute blanche. Sa nouvelle maison. Shankara fut tellement déboussolé par ce nouveau cadre de vie qu’il mouilla lors des premiers mois plusieurs fois ses draps et dormit mal. Mais le temps lui permit de s’accoutumer aux lieux et ses nouveaux parents firent tout pour le rassurer.
Hazel aimait jouer aux petits chevaux avec l’enfant et Durward trouvait amusant de mimer un professeur. Tous les deux vivant sur leur fortune familiale et leurs investissements, ils habitaient loin des grandes villes et donc des écoles. De ce fait, le père se devait d’éduquer Shankara qui n’avait jusque-là jamais lu autre chose que des textes religieux et ne savait faire que des calculs simples. Travailleur et curieux, le métis s’intéressait à tout et vite montra un fort intérêt pour la philosophie ainsi que pour la géométrie. De ce fait, Durward le poussa dans la noble voie des études et s’enthousiasmait avec l’enfant au fil de leurs lectures, content de lui expliquer les idées de Nietzsche ou celles de Merleau-Ponty, lui-même féru de questions métaphysiques.
Finalement, Hazel appréciait tellement les enfants qu’elle décida, avec son mari, d’en adopter un second. Le couple se déplaça alors jusqu’en Serbie et revinrent, après quelques semaines, avec une bouille angélique portant le nom de Ivanka. Blonde platine aux yeux gris de cinq années, la nouvelle venue attirait sur son passage le regard des curieux – et ceux de son grand-frère. Habitué aux enfants en bas-âge, Shankara décida rapidement de s’en occuper, la portant volontiers sur son dos, tenue par un châle. Tout le monde se mit à gâter l’enfant, si bien qu’elle devint capricieuse et hautaine. Les employés de la maison la trouvaient malpolie et lui préféraient Shankara, qui en plus d’avoir du sang indien n’hésitait pas à les aider malgré son nouveau statut de maître. Et parce que Ivanka enviait son frère, que tous louaient alors que sur elle pleuvaient les mises en garde, elle décida de trouver comment le mettre dans des positions délicates.
Hélas pour la demoiselle, toujours Shankara s’en sortait. Quoique cette fois-ci, le métis aurait bien voulu que cela se passe autrement. Ivanka, alors en ballade avec sa famille adoptive sur les bords d’un fleuve, décida d’y tremper ses pieds. Puis ses jambes entières. Malgré les mises en gardes inquiètes de Hazel, la demoiselle allait toujours plus loin et fut, finalement, emportée par le courant. Hystériques, tous se mirent à courir le long de la berge mais aucun n’osait mettre les pieds dans l’eau – ou il risquait d’y avoir non pas un, mais deux morts. Ivanka, qui ne s’attendait pas à tant de puissance de la part des flots qui en surface paraissaient calmes, cria d’épouvante. Puis ce fut le silence. Sa tête disparut sous l’eau. Par chance, trois pêcheurs sur leur barque interceptèrent le corps de la noyée de leurs filets, quelques courtes minutes après le drame et rapidement l’apportèrent sur la berge où ils se mirent à lui faire du bouche-à-bouche. Néanmoins, quand les parents s’approchèrent, ils s’arrêtèrent. Le cœur ne battait plus et ne repartait pas, malgré les massages cardiaques dispensés. Shankara réfléchit promptement et comprit ce qu’il lui restait à faire s’il voulait épargner de la peine à ses parents. Une main sur le flanc de sa sœur morte, une autre sur son sternum, l’adolescent fit mine de tenter à son tour de la réanimer par un massage. Mais ce qu’il fit en réalité, c’était lui donner quelques décharges électriques. Le myocarde, comme tous les muscles, se contracte sous l’effet d’impulsions électriques et lui se savait déjà posséder cette étrange infinité avec le courant électrique. Tout ce qu’il espérait, c’était que la charge qu’il fit traverser dans le corps de sa sœur n’était ni trop puissante ni trop faible… et cela fonctionna. Un battement, un second. Sans son aide, cette fois-ci. Rapidement le métis se pencha pour aider sa sœur à respirer, jusqu’à ce que ses poumons se vident de leur eau.
Et il crut que tous ceux qui à ce moment miraculeux l’entouraient n’avaient rien vu de son don. Hélas pour lui, un des pêcheurs avait gardé sa main humide sur le corps de sa sœur et ressentit l’électricité lui donner un coup de fouet si puissant qu’il comprit que cela n’était pas naturel. On en parla dans le village qui se trouvait non-loin de la demeure de Hazel et Durward. Puis, les serviteurs qui parfois y descendaient ajoutèrent à cela d’autres faits. Leurs enfants l’avaient vu jouer avec des ampoules électriques ou faire griller des fruits en les tenants simplement dans ses mains. Cela finit par amener aux portes du château une famille en deuil qui venait de perdre un enfant. Ils arrivèrent à trouver Shankara et sa mère, qui dans le jardin prenaient le thé. Cette dernière, étant la bonté incarnée, ne les chassa pas mais leur demanda ce qu’ils désiraient. Ce fut la plus vieille qui s’avança et, s’agenouillant aux pieds de Shankara, l’implora de ressusciter son petit-fils, mort il y a quatre jours. Ce dernier était pris dans sa lecture du banquet de Platon et ne se rendit que trop tard des mots qu’il prononça. Comme quoi le cerveau avait déjà commencé à se dégrader et que donc tout ce qu’il pouvait espérer faire était de créer un zombie avec une durée de vue de moins de trois minutes. Ce ne fut que le bruit de la tasse de sa mère, en porcelaine anglaise, se répandant sur le sol de la terrasse en plusieurs gros morceaux qui le sortit de ses rêveries. Le visage pâle de Hazel le laissa coi. D’une voix tremblante elle congédia les endeuillés et s’en alla, titubant légèrement, auprès de Durward. Quant à Shankara, pétrifié par son manque de délicatesse et de discrétion, sentit une forte fièvre le prendre et fut victimes de nausées et crampes d’estomac.
Cela n’empêcha pas Durward, avec Ivanka dans les bras, de venir tenter de discuter avec Shankara. Quel était réellement son pouvoir, depuis quand était-il conscient de cela. Déboussolé par l’air grave de son père, qui était normalement souriant et enjoué, Shankaara répondit du mieux qu’il pouvait, terrorisé. Allaient-ils le renvoyer à l’orphelinat ? On le rassura toutefois sur le fait que cela n’allait pas arriver, mais qu’il devait se montrer à présent prudent. Avec ses capacités, le métis pouvait attirer bien des convoitises… dont celles de sa sœur, dont il ne se rendit pas compte de suite. Pourtant, ô combien ses yeux brillaient de rage ! La blondeur de sa crinière ne pouvait pas rivaliser avec les étranges spécificités de son frère et bientôt, on ne parlerait que de lui. Et on l’oublierait, elle. Un cauchemar, pour la demoiselle.
Parce que pour être intéressante il fallait à présent qu’elle parle de son frère, Ivanka ne se fit pas prier. Racontant à tous ce qui s’était dit en secret, faisant éclater le mystère qui planait autour de Shankara, elle permit aux serviteurs de tout raconter au village. De plus, comme toutes rumeurs, plus elle étaient colportées plus elles étaient déformées. Shankara passa rapidement, aux yeux des plus simples, comme une réaction d’Indra – la divinité de la foudre. On trouva même mieux ! Parce que tous savaient qu’il avait été abandonné à la naissance, on le fit fils d’Indra et on le surnomma Garjan.
Foudre. Cela ne faisait qu’irriter Shankara, conscient de n’avoir aucunement la puissance d’un dieu ou de quoi que ce soit s’en rapprochant. Cela n’empêcha pas que, petit à petit, des curieux se pressèrent sur son chemin, n’hésitant pas à violer la propriété de ses parents et leur vie privée à tous.
La situation était problématique. Shankara ne pouvait plus faire un pas sans être suivi par deux ou trois inconnus, ce qui inquiétait énormément sa mère. Il fut donc décidé qu’il fallait déménager et changer entièrement de personnel, pour échapper à toutes les histoires courant sur le métis, qui en était devenu malade. Affaibli par le stress Shankara se retrouvait sujet à des tremblements et douleurs abdominales qui le réveillaient la nuit et qui le faisaient crier jusqu’aux larmes.
Hélas, quelques semaines après leur changement d’adresse, tout recommença. Ivanka n’avait, encore une fois, pas gardé sa langue dans sa poche et avait dupé son frère en lui demandant de faire fondre les filaments d’une ampoule sous son regard et celui de sa caméra. Les images circulèrent. Hazel et Durward, à bout de nerfs, eurent leur première véritable dispute avec Shankara. C’était sa faute. Ivanka était trop jeune encore pour tout comprendre, assurément. Il n’aurait jamais dû la laisser filmer ! Ce fut tellement violent pour Shankara qu’une bouffée délirante le prit brusquement. Shankara se mit à revendiquer sa parenté avec Indra, n’acceptant pour prénom plus que Garjan – quoi qu’il se laissait souvent tenter par celui, aussi, d’Indra. Tout autour de lui l’air était chargé d’électricité statique, ce qui faisait qu’on ne pouvait tenter de le toucher sans craindre de recevoir de puissantes joutes. Shankara ne se contrôlait plus vraiment et ses parents hésitaient à appeler un médecin – cela pouvait être nocif pour leur fils. Hazel pleura beaucoup et Durward resta très longtemps enfermé dans son bureau, alors que terré dans la bibliothèque, son endroit favori, Shankara délirait. Puis, parce qu’on ne le surveillait pas, il finit par sortir et se mit à marcher, au hasard.
Un enfant, au travers d’un groupement de maisons, lui demanda s’il était bien le fils d’Indra. C’est que Shankara était reconnaissable physiquement, surtout depuis ses treize ans, âge où il se fit teindre les cheveux. Pour toute réponse, le métis l’électrocuta, sans un regard. Cela ne le tua pas, mais lui laissa quelques lésions. Et cela, à la vue de tous. On fut alors partagé entre peur et attrait pour cet être qu’on considérait déjà comme un des prochains du panthéon hindou – ce dernier ne cessant de croître. Mais le père du garçon, à l’esprit vengeur, n’hésita pas à planter le pied de sa fourche dans l’omoplate de ce futur dieu, à la recherche d’une confrontation, mué par le désespoir.
Et, contre l’attente de tous, Shankara se montra d’une extrême faiblesse et s’écroula. La bonté des femmes présentes empêchèrent que cela n’aille plus loin et l’une, déchirant son sari, fit un rapide bandage autour du torse du damné, après avoir nettoyé sa blessure d’eau claire. On l’installa dans la pièce la plus fraîche de la plus belle maison et on envoya quelqu’un quérir ses parents. Durward et deux hommes accourent, pour aider à porter le malade qui toujours délirait. Ses yeux clairs plongés dans ceux, noirs, d’une autre adolescente, il lui comptait des faits étranges et dénudés de sens tout en serrant ses fines mains décorées au henné. Celle-ci, patiente, ne faisait que sourire et acquiescer. Tant qu’il parlait, il était certain que Shankara était vivant. Et, qui sait ! Peut-être que quand quelqu’un écrira la légende de Garjan, fils d’Indra, elle trouvera entre deux lignes sa place.
C’était l’incident de trop et on appela un médecin. Ce dernier n’hésita pas à traiter d’inconscients tous ceux entourant le métis. Son état était tel que ses muscles, contractés, avaient commencés à appuyer si fort sur ses os que certaines de ses côtes s’étaient déplacées. La fourche était allée plus profond qu’on ne l’avait pensé, touchant un poumon. L’homme de science revint une semaine après, ayant reçu les médicaments du jeune homme, pour les lui administrer. De longs délais, faits de la saison des moissons et de sa pluie qui rendait les routes impraticables. L’état de Shankara, entre temps, n’avait fait qu’empirer. Une infection s’était déclarée, lui faisant cracher un mucus épais, aux tentes noirâtres. On craignait la tuberculose et seuls ses parents osaient encore l’approcher. Trois jours plus tard, il fut décidé qu’il fallait l’opérer. Il fut pour cela une obligation de le mener dans la ville la plus proche, où on décida de lui enlever un poumon, complètement rongé par la maladie. Et pour ce faire, furent enlevées quelques côtes et on colmata le vide de grosses billes en plastique. Plus tard, Shankara prit en dégoût cette partie de son corps, qu’il voyait comme déformée et qui lui rappelait trop cet épisode malheureux de sa vie.
A l’aide d’anti-inflammatoires, psychotropes et de quelques séances chez un psychiatre, Shankara finit par se remettre de sa bouffée délirante et de tout ce que cela lui avait apporté. Ne restait qu’un garçon usé, vidé. Sa famille versa une large somme aux parents du jeune garçon qu’il avait esquinté à vie et Ivanka ne cessait de rire, mesquine, à propos des déboires de son frère qui faisait son possible pour l’ignorer.
Puis, comme une un soupçon d’espoir, vint cette lettre. Celle présentant Worthington et ses spécificités. Durward jugea qu’il ne pouvait pas y avoir meilleur lieu pour permettre à Shankara de retrouver ce qu’il était. Pour reprendre confiance en lui et se remettre à sourire. Lui accepta sans aucun soucis, quoiqu’un peu effrayé à l’idée de quitter tout ce qu’il connaissait – mais mieux valait pour lui partir d’Inde pour un moment, histoire de faire oublier ses mésaventures. Pour aider à cela, d’ailleurs, ses parents encore une fois déménagèrent.
Rapidement Shankara se fit connaître par tous ceux de l’établissement. Ayant toujours eu le droit de faire ce qu’il voulait et n’ayant jamais connu de cadre scolaire traditionnel, le damoiseau se baladait volontiers en chaussettes et eut beaucoup de mal à saisir le système de notation ou ce qu’attendaient de lui ses professeurs. Son premier trimestre fut donc catastrophique, mais rapidement Shankara se rattrapa, éblouissant par son savoir collé à une grossièreté dérangeante son entourage. Connaissant et usant depuis longtemps son pouvoir, Shankara révéla avoir une longueur d’avance sur la majorité des élèves quand on venait à parler du contrôle de son don. Mais il restait encore brouillon et n’avait pas développé toutes les capacités liées à l’électricité et donc avait encore beaucoup à apprendre. Ah, quel don puissant avait-il là ! Quoi que d’autres en avaient des bien plus terribles. Le pensionnat devint pour lui plus qu’une seconde demeure. Ce devint un lieu où il pouvait être lui-même sans devoir se cacher. Et comme l’avait prédit son père, Shankara retrouva son sourire.
De temps en temps Shankara rentrait chez ses parents, qui toujours l’attendaient sur le seuil de leur grande maison. L’adolescent, ayant appris à se contrôler un peu plus, semblait être redevenu comme avant – ou presque. Ivanka continuait de parler des étranges dons de son frère autour d’elle, mais lui refusait à présent d’utiliser ses pouvoirs quand il se trouvait sur le sol indien. Les relations entre les deux enfants ne firent que se détériorer, mais cela ne les empêchaient pas de rester très attachés l’un à l’autre ; tous deux souvent fourrés ensemble. Néanmoins, la paix que ressentait Shankara ne pouvait pas durer éternellement. Il apprit par mégarde que Hazel et Durward prévoyaient de divorcer, ce qui fit comme un poignard dans son cœur. Les deux êtres à qui il tenait le plus ! Non ce n’était pas possible. Puis il fut temps de regagner Worthington, qui, hélas, n’était plus comme avant. L’école, sous le coup d’une terrible nouvelle, était passée de nid douillet grouillant d’étudiants à lieu empli de méfiance.
Ashley Brennan. Une vague amie à lui, qu’il aimait bien alpaguer comme tant d’autres demoiselles. Cela lui fit prendre conscience que la vie à Worthington n’était pas aussi douce et paisible qu’elle semblait l’être. Que tous étaient dangereux, que tous pouvaient être des tueurs. Mais peut-être était-elle morte par incident ? Et qu’il n’y avait aucun meurtrier, comme disaient les rumeurs… et c’est qui, ce A dont tout le monde parle si fébrilement ?