Rage /AVERY.

C'est d'humeur exécrable qu'Alisha quitta la salle de classe pour se diriger vers la cour. C'était la pause de dix heures du matin, la journée ne faisait pourtant que commencer et la jeune fille aux cheveux dorés en avait déjà marre. Vraiment marre.
Elle avait mal dormi, peut-être. Mais c'était amplement suffisant pour la mettre dans tout ses états. Ça et les premières heures de cours, interminables et terriblement ennuyantes. Le cocktail idéal, en fait.

Lish passa enfin la porte de l'établissement, se frayant difficilement un chemin dans la foule et se débattant par la même occasion avec sa jupe noir qui avait décidé qu'aujourd'hui, elle aussi, elle l'emmerderait en remontant sur ses cuisses.

Nan mais c'est parfait. Superbe, la matinée! Continuons comme ça, c'est magnifique. pesta-t-elle intérieurement, en direction d'un banc quelconque remarqué de loin.

Bon Dieu, elle haïssait déjà cette journée pourrie. Il y avait des moments, comme celui-ci, où plus rien n'allait. C'était présentement le cas, au grand désarroi d'Alisha.

Quelques mètres plus loin, elle put enfin s'asseoir sur les bancs faits de pierre de l'école. Elle avait beau être restée assise depuis déjà deux heures, ce n'était pas pareil. Elle préférait largement être ici, qu'enfermée dans une salle de classe puante et trop bruyante.
Attrapant vigoureusement son sac, qu'elle avait posé deux secondes plus tôt, elle fouilla dans un mouvement brusque l'intérieur - extirpant son téléphone portable. L'écran lui indiqua deux messages non lus. Elle appuya sur la touche les affichant et après avoir seulement vu les premières lettres du prénom du destinataire, elle effaça les SMS sans même avoir pris la peine d'en lire le contenu.

- Avery... soupira-t-elle. Il ne voulait décidément pas lâcher l'affaire.

« Toi... »

Oups, ça, elle ne l'avait pas prévu.
Quelle était la probabilité exacte que le même Avery - oui, celui des SMS - débarque deux minutes après pour l'embarquer avec lui? Pas très chanceuse sur ce coup là, Lish. Vraiment pas.
Ayant à peine le temps d'attraper au passage son sac de cours, l'adolescente ne put que suivre son ami en titubant. Il devenait dangereux, une fois énervé.
Il avait vraiment l'air de l'être, du moins. Alisha l'avait rarement vu dans un tel état.
A vrai dire, elle ne l'avait jamais vu ainsi. C'était la première fois.

Faut bien un début à tout... se confia la jeune fille à elle-même, alors qu'elle finissait sa route derrière un buisson. C'était pas le meilleur endroit pour parler, eut-elle envie de lui dire, moqueuse.
Seulement, Avery la devança:

« C'est quoi ton problème, bordel ?! »

Pas d'échappatoires possibles, cette fois-ci.
Devait-elle vraiment faire face? L'envie lui manquait certainement. Tout comme le courage.
Mais Alisha n'eut pour autre choix que l'obligation de regarder son kidnappeur dans le blanc des yeux.
Et à son plus grand désarroi, elle réussit à lire au fond de ses yeux chocolats. Bien plus que de la colère, elle y trouva de la peine.

Au même moment, Alisha eut un coup au cœur qui résonna dans toute sa poitrine, au plus profond de son être. Elle se souvint alors de la douceur que pouvait avoir son visage. De sa chaleur, si particulière.

- Tu me fais mal, lâche moi... ordonna t-elle, visiblement contrariée.

La fierté ne faisait pas tout. Et Lish avait beau prétendre le contraire, le fait même de devoir tenir tête à son ancien ami lui parut être une tâche bien trop ardue.

Mais, pour revenir à sa question, Alisha estima qu'elle ne pouvait lui donner une réponse. Une réponse valable, en tout cas. Elle ne le savait que trop bien; ses raisons étaient loin d'être bonnes.
Évidemment, elle ne pouvait se résoudre à le lui avouer. Il devait trouver tout seul, point final. Ses mots ne pouvaient être que plus censés que les siens, à bien y réfléchir.

- Pourquoi est-ce que tu insistes autant? J'ai pas été assez clair, peut-être?

Elle tira sur son bras, espérant dégager son poignet de l'emprise d'Avery.

- Faut que je te la refasse dans une autre version?

C'était tellement stupide cette histoire. Elle l'était moins pour Alisha que pour son vis-à-vis, certes. Moins absurde - peut-être - mais sans aucun doute plus difficile.
L'idée ne faisait que se confirmer, au fur et à mesure des journées passées à l'éviter.

Surprise par son attitude aussi irascible et violente - encore plus consternée par autant de haine envers sa personne, Alisha ne broncha même pas lorsque que sa main, dans le désir et surtout le besoin de la faire souffrir, s'empara de son cou. La jeune fille se contenta de reculer, plus par réflexe que par réelle volonté de se soustraire à son geste. À se détester, à s'entretuer? N'y avait-il donc qu'une si infime barrière entre l'amour et la haine? À travers ses mots, elle ressentait toute sa rancœur.

« Merde... excuse-moi. »

Il l'avait lâché aussi brusquement que son précédemment mouvement. Lish se mordit la lèvre, peinée de voir dans quel état elle rendait son ami. C'était triste à voir, affligeant même. D'autant plus que l'adolescente savait pertinemment qu'elle était la cause direct de son malheur. Ça en devenait presque insupportable, en fait.
Elle ne pouvait endurer cette situation, pénible conséquence de ses stupides décisions.
Et pourtant, elle se devait d'affronter Avery. Pas parce qu'elle le voulait, non. Pour dire la vérité, ce fut plutôt son abattement qui l'inquiéta sur le moment. Ne pouvant décidément pas se résigner à le laisser ainsi, elle tenta furtivement une approche. Juste de quoi lui permettre d'échanger leurs regards.
Alisha n'y parvint même pas, devancée une fois de plus par son camarade.

« Ne t'en fais pas, tu n'auras plus d'SMS venant d'un certain Leroy. Excuse moi. »

Et sans outre forme de procès il se leva, prêt à partir. Prêt à s'en aller loin, très loin d'elle - sa tortionnaire.

- Hey! elle l'interpella, sourcils froncés et visiblement plus gênée qu'agacée: - C'est tout?

Elle croisa les bras sur sa poitrine, plantant ses yeux décidés sur la silhouette lui faisant face.

- Elle s'arrête là ta crise, Avery? poursuivit Lish, cinglante.

Elle s'arrête là, notre relation? Voilà ce qu'elle avait réellement envie de lui dire. Ce qu'elle aurait aimer lui faire comprendre, elle n'arrivait tout bonnement pas à mettre les mots dessus.

- T'es incapable de pousser plus loin? T'en as donc si peu à foutre de moi...?

Se rendant compte de la dureté de ses paroles et de la froideur de son ton, Alisha préféra se taire plutôt que de continuer à lancer ses remarques bien trop désobligeantes. Elle le savait à bout de force. Ça crevait les yeux.
Et elle avait peur. Peur qu'il dise la vérité, qu'il arrête de s'accrocher et qu'il l'oublie. Des messages et des excuses elle en voulait encore. Elle voulait qu'il essaie, peu importe combien de fois elle pouvait le rejeter, le blesser. Qu'il insiste, toujours plus.
Pourquoi? Pour se sentir aimer, peut-être. Pour se sentir importante, sans doute. Il ne pouvait décidément pas abandonner de cette façon...

- Pars pas.. sursurra t-elle, d'une voix plaintive.